mercredi 17 septembre 2008

Institutions européennes : Chaises musicales en vue



72 eurodéputés français en 2009, la bataille n’en sera que plus rude !

Ça y est, le secret de polichinelle vient de tomber : le Traité de Lisbonne – en mort cérébrale depuis le « Non » du référendum irlandais – n’entrera sans doute pas en vigueur avant 2010…c’est-à-dire après les élections européennes de juin 2009. C’est Jean-Claude Juncker en personne qui a craché le morceau.

Conséquence mécanique : c’est le traité de Nice qui reste en vigueur ce qui signifie que le nombre de députés européens chutera de 785 à 736, c’est d’ailleurs ce que rappelle la dépêche AFP.

Ce qu’elle ne dit pas, en revanche, c’est que pour la France, le nombre d’eurodéputés tombera de 78 à 72 pour les 8 circonscriptions : Nord-ouest (Basse-Normandie, Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie), Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes), Est (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Lorraine), Massif central - Centre (Auvergne, Centre, Limousin), Sud-ouest (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées), Sud-est (Corse, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes), Île-de-France et Outre-mer.

Sans aborder la question de la répartition de ces sièges – répartition qui n’est d’ailleurs pas encore connue – on peut d’ores et déjà entrevoir que la bataille sera rude : Entre un gouvernement UMP impopulaire, des socialistes plus déchirés que jamais, un MoDem boycotté par les grands médias, des eurosceptiques d’autant plus crédibles que l’Europe va mal et des Verts requinqués par l’OPA de Cohn-Bendit, le grand jeu des chaises musicales peut commencer.

lundi 15 septembre 2008

Turquie, mon amie ?


Pourquoi Ankara s’essaie actuellement au rôle de chevalier blanc et pourquoi cela est plus dangereux que rassurant pour les Arméniens…et pour l’Occident !

Depuis plusieurs mois, Ankara prend des initiatives politiques et diplomatiques qui débordent largement de ses préoccupations traditionnelles et qui dérogent singulièrement à ses orientations habituelles. Sur la scène internationale, on a ainsi vu la Turquie révéler en mai qu’elle avait pris l’initiative d’une médiation entre Israël et la Syrie, organiser en août – à l’instar d’une puissance moyenne – un premier sommet UE-Afrique et renforcer singulièrement ses liens avec l’Iran. Les relations croissantes avec Téhéran – les échanges économiques ont atteint 6.1 milliards de dollars sur les sept premiers mois de 2008 (1) – ont même été jusqu’à se concrétiser par une visite du président Ahmadinedjad à Ankara le 14 août dernier. Dans le même temps, Ankara a fait part de son intention de ratifier le protocole de Kyoto et a même envisagé de ratifier le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI), alors que l’accusation de génocide lui pend au nez depuis 90 ans.

Concernant plus spécifiquement la politique anti-arménienne du palais de Çankaya, on a appris avec surprise le limogeage de Yusuf Halacoglu – négationniste notoire et président de la très gouvernementale Société Turque d’Histoire (2), l’arrestation massive de membres du gang criminel Ergenekon, une organisation paragouvernementale et maffieuse dont l’un des objectifs consiste précisément à « casser de l’Arménien » et à lutter contre la reconnaissance du génocide, la visite sacrilège de Abdullah Gül à Ani et dernièrement à sa déclaration-choc – presque un aveu – « Nous sommes tous les enfants de ces terres. Turcs et Arméniens ont vécu ensemble sur ces terres ».

Bref, on peine à croire que cette Turquie « sympa » depuis six mois et la Turquie habituelle des coups de menton et des coups de poing constituent le même Etat. Il serait cependant naïf de penser que ces assauts de vertu découlent d’une soudaine conversion à une degré de maturité politique auquel Ankara reste étranger, celui de la postmodernité. Il semble en revanche clair que cette évolution résulte de l’influence complexe de plusieurs facteurs, certains structurels, d’autres plus conjoncturels.

Premier facteur très circonstanciel, la Turquie a lancé une vaste campagne visant à obtenir un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU lors du renouvellement en octobre de cette institution. C’est donc plus que jamais pour Ankara le moment d’apparaître comme un Etat responsable et respectable : finies les déclarations martiales et enfiévrées, voici que la Turquie « modérée » ne parle plus que de paix, de stabilité et propose ses bons offices à Israël, à la Syrie ou – plus récemment – à la Géorgie et à la Russie. C’est aussi à la lumière de cet objectif qu’il faut apprécier le brusque zèle turc à ratifier des instruments internationaux auxquels il n’avait jusqu’à présent porté qu’une faible attention. De même, son récent regain d’intérêt pour l’Afrique … et pour les suffrages de ses nombreux Etats représentés à l‘ONU.

Second facteur, la lutte à mort entre kémalistes et islamistes. Ainsi par exemple, l’empressement subit à ratifier le statut de la CPI – comme par hasard soutenu par les islamistes au pouvoir – s’est heurté à l’intransigeance des nationalistes soucieux de protéger les militaires turcs potentiellement responsables d’exactions à Chypre et contre les Kurdes. Pareillement, les récents coups de boutoir contre Ergenekon et la clique nationaliste dont Halacoglu était un porte-parole exposé doivent très certainement être considérés dans ce contexte intérieur bien plus que celui de concessions supposées aux demandes arméniennes. Dans la pratique d’ailleurs, ces « concessions » ont des limites que – le voudrait-il – l’AKP aura du mal à dépasser suite à l’avertissement qu’il a reçu en août (3) : De fait, l’attitude de la Turquie vis-à-vis de l’Arménie n’a pas vraiment changé, au moins sur la reconnaissance formelle du génocide.

Troisième facteur, la prise de distance croissante avec l’Occident. Rebutée par les valses-hésitations européennes à propos d’une adhésion devenue très hypothétique, en froid avec des Américains plus impériaux et anti-musulmans que jamais et sans doute impressionnée – sinon effrayée – par le regain de puissance politique et économique russe dont le conflit géorgien ne constitue que la démonstration la plus brutale, la Turquie semble de plus en plus se détourner de l’Ouest pour renouer avec ses voisins orientaux. Bien évidemment, tous cela ne se fait pas sans tiraillements : Ces derniers jours, on a ainsi vu fuser des menaces réciproques de rétorsions commerciales entre Ankara et Moscou (4). Il n’empêche que le niveau de relations économiques entre les deux pays n’a jamais été aussi florissant (5) , et leurs intérêts mutuels, jamais plus convergents.

Dans ce contexte en évolution rapide, l’invitation du président arménien à son homologue turc s’est révélée une occasion en or pour faire progresser les nouveaux intérêts d’Ankara (6) et on comprend bien qu’Abdullah Gül – qui avait jusqu’à là réservé sa réponse – ait répondu favorablement : d’une part, cela valide l’idée turque d’une cogestion russo-turque du Caucase à travers un Pacte de Stabilité et crédibilise ipso facto le retour turc dans la région ; d’autre part, ceci permet à la Turquie d’accroître un peu plus sa marge de manœuvre face à une tutelle américaine plus encombrante que jamais (surtout pour un Etat proto-islamique) ;enfin, cela lui permet de torpiller avec élégance les pressions en vue de la reconnaissance du Génocide des Arméniens, en accréditant l’idée qu’elle favorise effectivement le « dialogue » et la « réconciliation » sur la question.

Qui sont les gagnants et les perdants de cette nouvelle donne ? Perdants assurément, les Américains (7) qui semblent avoir durablement gâché leur capacité à influencer le cours des évènements dans le Sud Caucase. Gagnants, sans aucun doute les Russes mais aussi les Turcs : non content d’avoir fait la nique à l’Occident et d’avoir restauré son prestige aux yeux de ceux qu’ils faut bien réappeler les non-alignés, Moscou brise via la Turquie son isolement diplomatique et – « accessoirement » – s’assure un droit de regard sur la dernière route énergétique entre l’Asie centrale et l’Ouest.

Ankara pour sa part restaure son ancienne capacité à faire chanter l’Ouest en mettant en balance son « ancrage » occidental avec les largesses de son nouvel ami russe (8), tout en sécurisant son approvisionnement énergétique. La Turquie confirme au passage qu’elle a atteint la taille critique à partir de laquelle elle n’est plus contrôlable par personne, justification a posteriori des craintes de certains conservateurs américains (9). En outre, en se positionnant comme interlocuteur légitime et incontestable de tous les protagonistes régionaux, elle atteste du fait que l’AKP a bien adopté une doctrine néo-ottomane (10) compatible avec son projet politique fort peu européen de société religieuse et communautaire.

Victime consentante, l’Europe pourrait trouver un certain intérêt au nouveau positionnement équivoque de la Turquie : les turcosceptiques y verront une raison supplémentaire de se défier de la Turquie, les turcolâtres, une raison supplémentaire de s’assurer son arrimage à l’Ouest, mais tous d’y voir un canal diplomatique potentiellement utile dans leurs relations rugueuses avec la Russie.

La situation est plus incertaine – si tant est que ce soit possible – pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan : L’aventure géorgienne a très certainement refroidi les velléités militaires azéries, de même que son alignement occidental supposé : la récente visite de Dick Cheney en Azerbaïdjan (3 septembre) a ainsi donné lieu à un grave incident diplomatique (11) lorsque l’homme fort de Bakou a refusé de s’engager à fournir du gaz au pipeline Nabucco. Dans ce contexte, l’Azerbaïdjan surveille avec une certaine anxiété tout signe de détente entre l’Arménie et la Turquie qui pourrait signifier la fin du soutien inconditionnel turc sur le dossier du Karabakh , voire un entérinement de l’indépendance du Karabakh (12). Mais réciproquement, si l’amorce de détente entre l’Arménie et la Turquie allait jusqu’à l’ouverture de la frontière, la domination économique turque rendrait rapidement la petite république caucasienne otage d’Ankara comme elle l’est déjà en grande partie de la Russie (13). En clair, dans le meilleur des cas, l’Arménie échangerait quelques avantages à court terme – notamment commerciaux – contre son inféodation à la Turquie néo-ottomane.

Pour ce qui est enfin de la question du Génocide, il est évident que la fiction d’une détente arméno-turque sonnerait dans un premier temps le glas du processus international de reconnaissance (14). On ne peut cependant exclure que, si Ankara continue à prendre ses distances avec Washington, l’administration américaine finisse par « punir » la Turquie d’une telle reconnaissance. Mais surtout, on ne peut totalement écarter l’idée qu’en lâchant la bride sur la question arménienne, la Turquie islamiste ait initiée une dynamique qui finisse par lui échapper : à cet égard, les déclarations (15) de dignitaires turcs, parfois même issus de la mouvance kémaliste, laissent pantois mais laissent également espérer.




(1) Soit 37% de plus que durant la même période en 2007. Sur la période citée, la Turquie a exporté pour 1.2 M$ en Iran (+67%) et a importé pour 4.9M$ (+32%). L’Iran est le 7ème exportateur en Turquie et le 19ème importateur.

(2) Qui, comme son nom ne l’indique pas, est une agence d’Etat dévolue à la promotion de la geste d’Atatürk, du mythe de l’homogénéité et de la pureté raciale turque et à la négation du génocide des Arméniens.

(3) Au terme d’un arrêt millimétré de la Cour Constitutionnelle, l’AKP a finalement échappé de justesse à une dissolution et à l’interdiction d’activités politiques de ses dirigeants : 6 des 11 juges ont voté l’interdiction et il en fallait 7.

(4) Moscou ne pardonne pas à la Turquie le soutien qu’elle a plus ou moins affiché à la Géorgie durant le conflit ossète et surtout le fait qu’Ankara ait laissé pénétré des navires de guerre américains à travers le Bosphore et les Dardanelles.

(5) En 2007, les échanges entre la Russie et la Turquie ont atteint 28M$. Les estimations pour 2008 sont à 38M$ (+36%). La Russie fournit à la Turquie 63% de son gaz naturel et 29% de son pétrole.

(6) Ainsi que ceux de Moscou. De nombreux analystes considèrent que l’invitation du président Sarkissian a été fortement « inspirée » par le Kremlin.

(7) Et accessoirement leurs féaux géorgiens qui ont entériné à leur corps défendant le démembrement de la Géorgie et – peut-être pire – l’image de stabilité et de sécurité que revêtait jusqu’alors leur pays. Dès la fin des hostilités, la viabilité et la sécurité à long terme des pipelines BTC et Nabucco ont été mises en question. A cet égard, on peut s’interroger sur la survie politique de Saakachvili.

(8) Comme la république kémaliste naissante l’avait fait avec les bolcheviques.

(9) A cet égard, on consultera avec intérêt l’article de Ralph Peters sur le redécoupage des frontières au Proche-Orient : http://www.armedforcesjournal.com/2006/06/1833899

(10) Turkey: The emergence of a new foreign policy the neo-ottoman imperial model http://findarticles.com/p/articles/mi_qa3719/is_199601/ai_n8750313/pg_1

(11) http://www.eurasianet.org/departments/insight/articles/rp090908.shtml

(12) Les ultranationalistes de l’Organisation de Libération du Karabakh ont amèrement protesté de la visite de Gül en Arménie.

(13) Il est assez significatif que dès le 10 septembre, soit moins d’une semaine après la visite de Gül, l’Arménie annonce qu’elle allait livrer de l’électricité à la Turquie… électricité produite dans des centrales arméniennes sous contrôle de sociétés russes !

(14) Si tant est que la Turquie parvienne à maintenir cette illusion. On peut en douter : le 10 septembre, le Ministre AKP de la Justice a autorisé les poursuites contre le dissident Temel Demirer coupable d’avoir évoqué le génocide des Arméniens, et deux jours plus tard, celles du chroniqueur Ahmet Altan pour la même raison.

(15) Toujours le 10 décembre, Vural Volkan, ancien ambassadeur à Moscou et par ailleurs kémaliste bon teint a déclaré à la presse arménienne « bien que la Turquie reconnaîtra difficilement le génocide arménien, elle devrait demander pardon aux Arméniens et aux autres minorités ethniques – Grecs, Assyriens et Kurdes, pour leur expulsion et leur massacre. Elle devrait permettre le retour de leurs descendants dans les résidences de leurs ancêtres et leurs octroyer la citoyenneté turque ». ; Lors du match de football Arménie-Turquie, plus de 300 Turcs ont visité le mémorial du génocide arménien à Erevan dont Hassan Djemal, le petit-fils de Djemal Pacha, l’un des architectes de ce génocide.

lundi 8 septembre 2008

Turquie - UE : La tête dit "oui", les membres disent "non"

Sondage exclusif réalisé par l’Ifop pour "Valeurs Actuelles"

Les opinions européennes rejettent plus que jamais l’entrée de la Turquie dans l’Union. Entre les peuples et la Commission de Bruxelles, l’incompréhension est totale.

Voici un sondage que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, farouche partisan d’intégrer la Turquie à l’Union, aurait sans doute intérêt à regarder dans le détail : il annonce en effet une crise majeure si les institutions communautaires, sûres de leur bon droit, continuent à faire comme si elles avaient pour mandat de contourner, l’un après l’autre, les obstacles s’opposant à l’entrée de la Turquie en Europe…

« Promesse de 1963 » ou pas (allusion à l’accord d’association signé cette année-là entre le jeune Marché commun et Ankara, incluant pour la première fois la perspective d’une adhésion turque), les choses ont bien changé depuis quarante-cinq ans. À commencer par la Turquie ellemême, désormais gouvernée par un parti islamiste.

Surtout, c’est l’opinion publique européenne qui évolue, elle qui, dès 2004, date à laquelle ont officiellement débuté les négociations d’adhésion, s’interrogeait déjà sur le bien-fondé d’une Asie mineure rat- tachée politiquement au continent européen.

Un sondage réalisé par l’Ifop pour le Figaro, sur un échantillon représentatif de 5 000 citoyens européens, indiquait alors que 68 % des Français s’opposaient à un élargissement de l’Union vers la Turquie, imités par 63 % des Allemands.Mais 78 % des Espagnols y étaient favorables, de même que 67 % des Italiens et 58 % des Britanniques.

Quatre ans plus tard, Valeurs actuelles a voulu savoir comment la tendance avait évolué, et a demandé à l’Ifop de renouveler l’opération en mobilisant un échantillon encore plus représentatif, portant sur 7 007 personnes issues de sept pays (Allemagne,France,Grande- Bretagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Espagne) représentant cette fois les deux tiers de la population de l’Union.

Le résultat est sans appel : l’opposition à l’adhésion turque s’est accrue de manière significative, se retournant carrément chez ceux qui y étaient favorables. 51 % des Espagnols voient désormais des inconvénients à une Turquie européenne (+ 29 points en quatre ans !), ainsi que 56 % des Italiens (+ 23 points) et 57 % des Britanniques (+ 15 points). Ce sont les Français qui restent les plus hostiles à cette perspective (80 % des suffrages exprimés, soit 12 points de plus qu’en 2004), suivis des Allemands (76 %, + 13 points), des Belges (68 %) et des Néerlandais (67 %).

En France même, la radiographie de l’opinion est instructive. Si l’on raisonne non plus en suffrages exprimés (ceux qui ont émis un avis en répondant par oui ou par non) mais en résultats bruts, on s’aperçoit que 14 % seulement des personnes interrogées accepteraient de voir la Turquie rejoindre l’Union européenne, 55 % s’estimant contre, et 31 % se déclarant sans opinion.

L’opposition majoritaire à l’intégration turque est la règle, quels que soient la classe d’âge, la région d’origine, et même l’engagement politique. Deux curiosités : les 25-34 ans y sont encore moins favorables (11 %) que les plus de 50 ans (15 %), et l’extrême gauche davantage opposée encore que les électeurs socialistes !

Mais c’est, sans surprise, à droite qu’on rencontre l’opposition la plus farouche à l’entrée de la Turquie en Europe : 61 % de rejet chez les électeurs de François Bayrou, 68 % chez ceux de Nicolas Sarkozy, et 81 % chez ceux de Jean- Marie Le Pen.

Pour l’Élysée, le signal est limpide : il démontre a posteriori que le candidat Nicolas Sarkozy était en phase avec l’opinion quand il s’opposait à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin, l’un et l’autre farouches partisans de l’adhésion d’Ankara. Et indique, pour l’avenir, le risque qu’il y aurait à rompre avec cet engagement, au prétexte que la France préside, jusqu’à la fin de l’année, les institutions européennes.

Conçu comme une alternative à l’intégration turque, le projet d’union méditerranéenne sera-t-il suffisant pour désarmer la volonté de la Commission de Bruxelles de faire avancer coûte que coûte les négociations ? En faisant part publiquement de ses hésitations à répondre à l’invitation qui lui était faite de se rendre à Paris, le 13 juillet, lors du lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM), le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a bien montré qu’il n’était pas dupe de la manoeuvre. Et José Manuel Barroso a insisté pour que, dans la déclaration finale du sommet de Paris, il soit expressément stipulé que la mise en place de l’Union pour la Méditerranée est « indépendante de la politique d’élargissement de l’Union européenne, des négociations d’adhésion et du processus de pré-adhésion ».

Pour Bruxelles, l’Union pour la Méditerranée n’est pas une alternative

Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a d’ailleurs luimême indiqué que l’opposition connue de Nicolas Sarkozy à l’adhésion d’Ankara n’entraverait en rien la poursuite des pourparlers entre le gouvernement turc et la Commission européenne.

Huit chapitres de négociations sur trente-cinq sont actuellement ouverts : science et recherche, politique industrielle et entreprises, statistique, contrôle financier, réseaux transeuropéens, protection de la santé et du consommateur, droit des sociétés et droit de la propriété intellectuelle. Le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 pourrait décider de l’ouverture de deux nouveaux chantiers afin de porter à dix le nombre de chapitres négociés. Il s’agirait de ceux relatifs à la société de l’information et à la libre circulation des capitaux.Une politique des petits pas qui illustre « l’effet d’engrenage » préconisé jadis par Jean Monnet.

Seule chose certaine : dès le 1er janvier 2009, la France, dégagée de l’obligation de réserve que lui impose la présidence de l’Union européenne, sera de nouveau libre de ses mouvements…

Valeurs Actuelles

mardi 2 septembre 2008

Contribution pour une refondation de l'Europe


Il est des coïncidences qui ne s’inventent pas : la veille de la reprise du conflit ossète, le plafond de l’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg s’est effondré. A l’image de ses bâtiments, l’Union européenne ne dispose aujourd’hui plus que d’institutions lézardées pour affronter les grands défis qui – si l’on n’y prend garde – risquent plus que jamais de la propulser dans les poubelles de l’Histoire.

Cette contribution résumée entend modestement concourir à l’élaboration de pistes de réflexion qui  pourront être développer dans l’optique des prochaines échéances européennes. Notre objectif en la matière doit être de restaurer et le caractère opérationnel de l’Union, et l’attrait politique – tant domestique qu’international – qu’exerçait encore récemment cette expérience historique radicalement novatrice afin d’assurer in fine un leadership de l’Europe dans les affaires du monde.

Le mal-être européen procède clairement de trois ordres : déficit démocratique, déficit d’identité et déficit stratégique.

  • Déficit démocratique – l’Union européenne a perdu la confiance de ses citoyens qui la perçoivent désormais plus comme une menace que comme une solution, notamment en terme social. Le rejet de la Constitution par la France et les Pays-Bas et le rejet du traité de Lisbonne par l’Irlande sont en vérité des fins de non-recevoir très claires vis-à-vis d’un projet qui entendait donner plus de pouvoir à une Commission européenne essentiellement hors contrôle démocratique ; qui plus est, ce transfert de pouvoir – qui s’opère déjà – se serait accentué en faveur d’une vision socioéconomique anglo-saxonne loin de faire l’unanimité sur le continent.
  • Déficit d’identité – Si le « Grand Elargissement » aux dix Etats d’Europe de l’Est était historiquement nécessaire et inévitable, il a néanmoins conduit à des dissensions sur la finalité du projet européen et sur le positionnement politique de l’Union. Si celle-ci s’aventurait à d’autres élargissements substantiels (ou contre-nature), elle le paierait très certainement de la perte totale du sentiment de communauté d’histoire et de destin, seule base crédible de toute construction politique.
  • Déficit stratégique – Après des réussites remarquables, l’Union semble en panne idéologique : La stratégie de Lisbonne qui visait à faire de l’Union la zone de plus forte croissance mondiale est un échec patent ; Le bilan démographique s’aggrave (sauf en France et en Irlande) au point que l’Europe devra incessamment « importer » plusieurs dizaines de millions de travailleurs immigrés. L’Europe sociale reste essentiellement un vœu pieu ; les arbitrages budgétaires contestés et incohérents. La politique étrangère et de sécurité commune est toujours embryonnaire face à des diplomaties nationales aux perceptions (ou plutôt aux réflexes) souvent divergents et cette situation est aggravée par la dépendance énergétique croissante de l’Union. Il est particulièrement significatif que cette dernière soit de plus en plus souvent absente des considérations de politique générale des Etats-Unis ou même des puissances émergentes (ou renaissantes).
Sept pistes pour une refondation

Il est clair que les défis qui se présentent sont d’un tel ordre que les réponses à y apporter dépassent le cadre de cette seule contribution. Néanmoins, il paraît utile à la cause de la refondation de l’Europe d’envisager (au moins) les sept pistes suivantes qui présentent l’intérêt de répondre de manière couplée aux trois ordres de défis que l’Union a à affronter :

  • Restaurer l’intérêt public pour la chose européenne. Avant d’essuyer de nouveaux échecs référendaires, nous devons faire de la politique européenne un sujet d’intérêt national dans les différents pays européens. On ne peut adhérer à ce qu’on ne comprend pas. Aujourd’hui Bruxelles semble lointaine et obscure alors que les décisions de l’Union impactent le quotidien des citoyens. Des mesures simples peuvent y contribuer : télédiffuser sur les chaînes publiques les débats du Parlement européen et des interviews de parlementaires ; renforcer et systématiser les échanges entre Parlements nationaux et Parlement européen, par exemple en organisant des débats de Parlementaires européens dans le cadre des Parlements nationaux de leur pays, en jumelant occasionnellement les permanences de circonscription avec les permanences européennes, etc.…

  • Lancer le chantier d’une vraie diplomatie européenne ; tant que les diplomaties nationales perdurent, l’Europe politique restera inexistante tant pour les acteurs internationaux qu’aux yeux des citoyens. On connaît le mot de Kissinger « l’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Lancer le chantier d’une diplomatie européenne, cela veut dire regrouper les services consulaires voire les ambassades dans les pays tiers où la présences des Etats de l’Union est faible ; cela veut dire mettre au point des modalités de fonctionnement là où elle est forte : on peut par exemple imaginer de confier l’ambassade européenne à la Grande-Bretagne là où la diplomatie britannique est forte, à la France là où la diplomatie française prédomine, etc. On doit aussi songer à panacher les corps diplomatiques notamment de façon à impliquer les pays européens de tradition diplomatique moindre.
  • Réduire drastiquement la dépendance énergétique qui est bien sûr un fardeau économique et environnemental croissant mais qui contribue plus insidieusement à décrédibiliser l’Union en mettant ses pratiques de politique étrangère en contradiction avec l’éthique européenne et/ou sa capacité à s’affirmer comme une puissance indépendante (le récent conflit géorgien en donne une illustration patente). Pour parvenir à cette réduction sur un produit – le pétrole – dont le coût de revient reste inférieur à celui de l’eau minérale, l’augmentation très substantielle du niveau de taxation est la piste la plus rationnelle, et en vérité, la plus libérale, privilégiée par les experts. Al Gore a récemment proposé que les Etats-Unis libèrent leur économie du joug pétrolier en dix ans. L’Europe aussi doit relever ce défi.
  • Réinventer un système intelligent de régulation douanière car la dérégulation sauvage des vingt dernières années a entraîné une désertification industrielle de l’Europe, des déséquilibres structuraux graves dans les pays émergents tout en favorisant la dépendance énergétique mondiale. Un système douanier intelligent et concerté – loin de tout protectionnisme agressif – privilégierait une croissance fondée sur la production locale – c’est-à-dire sur l’autosuffisance alimentaire pour les pays émergents et la réindustralisation pour l’Europe. Il est clair que cela limiterait également la dépendance énergétique : l’illustration insensée (mais véridique) de l’industriel danois qui envoie des crevettes à décortiquer au Maroc pour les réimporter au Danemark doit disparaître.
  • Favoriser une politique keynésienne de relance au niveau paneuropéen et particulièrement par le biais de projets transfrontaliers qui rendent visibles les atouts de l’Union. Des projets européens de forte visibilité relanceraient une croissance déficiente tout en restaurant l’image positive (et protectrice) de l’Union. Les questions d’énergie et de transport peuvent constituer les objets naturels de ces politiques transfrontalières. Les forces politiques européennes devraient mettre en place des groupes de travail intereuropéens afférents à ces questions.
  • En finir avec les Elargissements artificiels qui plomberaient et les économies européennes et la capacité de l’Union à affirmer son identité. Il faut remettre sur la table les exigences du Pacte de Stabilité avant que d’envisager un élargissement aux « Balkans occidentaux », il faut avec courage mettre un terme clair à l’illusion turque et au-delà traiter chaque demande avec discernement en considérant prioritairement les opportunités et les menaces que ces demandes peuvent représenter pour l’Union et pour ses citoyens.
  • Lancer une politique nataliste paneuropéenne car il n’est pas de croissance et de leadership sans une population jeune et dynamique. Là où la France et l’Irlande tirent plus ou moins leur épingle du jeu, nos partenaires vont prochainement être confrontés à une grave récession de leur population. Il est hautement stratégique que l’Union européenne pallie les insuffisances des Etats membres en mettant en place une stratégie et un financement destinés à faciliter la prise en charges des nourrissons et des jeunes enfants, notamment pour les mères actives (crèches, législation paneuropéenne sur le temps choisi, etc..). Il s’agit d’un énorme chantier qui demande à être réfléchi mais qui pourrait très certainement s’insérer dans la politique de relance préconisée.


lundi 1 septembre 2008

Plaidoyer pour une Europe enthousiasmante



Avez-vous regardé la finale de l’Eurovision ? Moi oui, et je dois dire que ce fut particulièrement affligeant. Non, je ne parle pas du côté kitsch et du mauvais goût patent d’un concours qui, il faut bien le dire, n’intéresse plus grand monde ! Je parle de son caractère formaté : il paraît que ça se passait à Belgrade, en Serbie, avec des compétiteurs de pays aussi divers que l’Irlande, l’Espagne ou l’Arménie. Heureusement que je l’avais lu sinon, d’après l’omniprésence de la langue de Shakespeare, d’après les chorégraphies retenues comme d’après l’allure des présentateurs, j’aurais pu penser qu’il s’agissait d’une compétition anglo-anglaise se déroulant à Londres. Anecdotique ? Je ne le crois pas.

C’est que l’Eurovision est à l’image de l’Europe tue-l’amour qu’on nous construit : inodore, incolore et insipide. Un autre exemple : nos billets de banque ; vous savez ces billets de Monopoly. Tout Français que je suis, j’aurais été fier et heureux d’avoir sur mes Euros la tour de Pise, la porte de Brandebourg, le Parthénon ou la Petite Sirène de Copenhague. Mais, non ! Nous avons droits à de vagues fragments de monuments sensés être plus ou moins illustratifs de l’architecture européenne, mais surtout, surtout lissant tout caractère national (quel gros mot !).

C’est que l’Europe s’est construite dans l’ombre de la guerre froide et dans le traumatisme de deux guerres mondiales. Ceux qui ont jeté les bases de l’Union politique ont délibérément choisi la « politique des petits pas » : charbon, acier, atome, de quoi mettre en commun les moyens de production (et accessoirement de guerre !) afin de lier solidement les économies européennes et afin de rendre à jamais impossible les cataclysmes du passé. Ainsi, peut-être inconsciemment, ont-ils refoulé de la construction européenne tout húbris, toutes ces passions qui – du sens de la Race au sens de l’Histoire – ont enfanté les totalitarismes destructeurs du XXème siècle.

Certes, on ne saurait reprocher l’esprit de tempérance et de pondération par lequel ils ont su nous délivrer de nos démons : plus de Thanatos, c’est fort bien mais, hélas, plus d’Eros donc !

Et l’Europe est devenue l’Europe de l’ennui : une construction froide, « pragmatique » – un terme connoté très en vogue à Bruxelles – et pour tout dire peu susceptible de susciter l'enthousiasme ou même simplement l’adhésion des citoyens de l’Union : l’asepsie, c’est pas sexy ! Parfait représentant de cette tendance, Olli Rehn, le terne Commissaire à l’Elargissement, a récemment déclaré qu’il voulait que les « Balkans occidentaux » deviennent aussi « normaux, prospères et ennuyeux que la Scandinavie ». Au premier degré, il s’agissait bien sûr d’une boutade mais, au second, cette déclaration est très révélatrice de la philosophie sous-jacente à l’idéologie dont il est le parfait représentant. Actuellement en vogue, cette vulgate libérale peut se résumer comme suit : « oublions les grands desseins, cantonnons-nous à faire du business ; C’est pas glorieux mais, au moins, on a la paix et la prospérité ».

C’est d’ailleurs dans ce même contexte que se comprennent la détestation de ces élites libérales pour des notions telles que la Culture, l’Histoire, l’Identité – tous concepts rapidement assimilés par eux au plus rétrograde des nationalismes ou au plus frileux des passéismes; c’est aussi par là que s’explique leur acharnement idéologique à vouloir élargir l’Union à des pays et à des peuples qui ne sont pas européens : quand on refuse son histoire et son identité, on refuse ipso facto l'altérité. C'est enfin toujours par là qu'il faut analyser leur incompréhension radicale du rejet de la Constitution européenne. La critique restée célèbre de Jean-Luc Dehaenne : "nous voulions construire une cathédrale, nous nous retrouvons dans un supermarché" est littéralement incompréhensible pour ceux qui ne veulent précisément bâtir qu’un supermarché, une Europe « société anonyme » sans histoire, sans limites et sans passion.

Ceci dit, si cette Europe n’était qu’ennuyeuse, ce serait le moindre mal. Après tout, nous sommes bien contents d’avoir les réfrigérateurs pleins et de posséder une multitude de gadgets aussi dispendieux que superflus. C’est d’ailleurs sans doute ce que pensent les partisans de cette Union des supérettes et, s’ils avaient raison, je ne serais qu’un fâcheux trop exigeant. Mais, voilà, je pense que cette conception est profondément dangereuse.

Car si les fascismes ont procédé par convocation des pulsions là où, et le marxisme, et le libéralisme procèdent par hyper rationalité – historique pour le premier, économique pour le second – tous trois partagent cette même propension à se substituer à toute autre échelle de valeurs, à vouloir régir l’ensemble des rapports humains, à s’insinuer dans les plus intimes replis de nos consciences et des représentations mentales qui sont les nôtres. Bref, en l’absence de tout contre-pouvoir, le libéralisme pourrait très facilement devenir le substrat d’un troisième totalitarisme, celui qui, pour tout horizon, nous condamne à l’utilitarisme, à la roue de la fortune, aux déboires de Paris Hilton comme à ceux de l’Eurostoxx 50. Non pas qu’il soit sui generis malfaisant – c’est même exactement le contraire tant il a permis la plus grande accumulation de bien-être qu’ait jamais connue l’Humanité – mais simplement qu’il faut s’en garder, comme de toute idéologie, dès lors que celle-ci prétend s’émanciper du contrôle de la conscience en général et de celui du dessein politique en particulier.

Il nous appartient donc – à nous citoyens européens – de nous réapproprier une Europe confisquée par une élite de gestionnaires peu inspirés afin de la re-enchanter – et vite, car il est tout de même affligeant et préoccupant qu’aux yeux des citoyens, l’Europe soit passé en vingt ans du statut de solution à celui de problème.