Je me permets de reproduire ici la traduction effectuée et publiée par le Collectif Van de l'excellent article de Serhat Uyurkulak. Cet article initialement paru en turc sur le site Birdibir a été traduit en anglais par Azad Alik puis en français donc.
Avec un courage intellectuel rare, Serhat Uyurkulak pourfends ici non seulement le négationnisme d'Etat de son pays mais également la rhétorique captieuse de certains intellectuels turcs visant d'une part à réduire le génocide arménien à une affaire sentimentale de douleur, d'autre part à faire de cette douleur une douleur commune et finalement à lui attribuer une source indéterminée.
Cette douleur n’est pas la nôtre
Collectif Van - Azad Alik - Birdirbir
Il y a besoin de justice, pas de compassion
De Serhat Uyurkulak
J’estime avoir de la chance de ne pas avoir vu beaucoup de décès de près. Mais, lors de la plupart des visites de condoléances, j'ai assisté à la même scène. Alors que la souffrance montait en flèche pour atteindre un degré presque palpable, quelqu'un fondait soudain en larmes et gémissait, disant qu'il voulait sortir le défunt de sa tombe et allant jusqu’à indiquer sa volonté de prendre sa place. Sous le regard étonné des membres de la famille, les gens s’interrogeaient discrètement les uns les autres pour savoir qui cette personne pouvait bien être. Et, souvent, il s'avérait que 'le voleur de chagrin' était quelqu'un que sa conscience tourmentait car il se sentait redevable au défunt de quelque chose, d'une façon ou d'une autre. La chose la plus étrange, c’est que la famille en oubliait presque sa propre peine pour que le ‘voleur de chagrin’ se sente mieux. Le vrai supplice commençait quand il lui incombait, à elle, de consoler cette personne qui avait quelque chose sur la conscience.
Je souhaite vraiment être quelqu’un ayant une conscience et une vie sans tache et j'essaie de faire de mon mieux pour vivre selon ce principe. « Avoir la conscience tranquille » est une expression utilisée dans la déclaration de l’initiative « Cette souffrance est la Nôtre », publiée de plus en plus souvent dans les réseaux sociaux et autres médias au fur et à mesure qu’approchait le 24 avril [
1]. La déclaration affirmait que ce qui avait été fait aux Arméniens, qui étaient des sujets ottomans en 1915, devait être qualifié de crime contre l'humanité. De plus, les auteurs appelaient chacun d'entre nous, qui étions « unis sur la base des valeurs fondamentales de l'humanité », à déclarer que 1915 était « la douleur commune » de chaque personne vivant en Turquie.