mercredi 14 décembre 2011

L’infinitude du crime et de la demande de pardon

Par Talin Suciyan 
Traduit par Laurent Leylekian à partir de la version anglaise de Vartan Matiossian . Correction et vérifications de Vilma Kouyoumdjian à partir de la version turque. Une version arménienne est également disponible.

Willy Brandt s'agenouillant devant le mémorial
du Ghetto de Varsovie
La semaine dernière, la déclaration du Premier Ministre turc Erdoğan à propos du Dersim a immédiatement reçu des commentaires favorables de la presse dominante et nous avons dû attendre jusqu’au week-end pour lire des articles plus critiques à son sujet. Deux articles, respectivement d’Ayse Hür et du professeur Taner Akçam, donnèrent l’impression d’une « introduction à la littérature des excuses », en particulier pour le premier Ministre lui-même [1] . Plusieurs points évoqués dans ces articles mériteraient discussion mais ce dont je veux débattre maintenant est assez différent. 

vendredi 25 novembre 2011

Gros plan sur le Dersim avec Seyfi Cengiz

Seyfi Cengiz
J'ai récemment commenté les très hypocrites "excuses" du Premier Ministre turc au sujet des massacres perpétrés par la Turquie dans la région montagneuse du Dersim en 1938. Afin d'éclairer l'identité méconnue des habitants Kizilbaches de cette région, il m'a paru utile d'exhumer une interview que j'avais réalisée de Seyfi Cengiz, le président en exil du Front de Libération du Dersim. Cette interview , était parue dans le mensuel France-Arménie en janvier 2009 sous le titre "Dersimis et Arméniens se battent pour les mêmes droits". On y lit notamment que l'identité des Dersimis a été combattus et quasiment détruite par les Turcs mais également indûment récupérée par le mouvement kurde pendant des années.

Pouvez-vous préciser pour nos lecteurs quels sont les traits spécifiques des Dersimis lorsqu’on les compare aux Turcs ou aux Kurdes ? 

L’identité des Dersimis – les gens du Dersim – réside dans leur culture religieuse Kizilbache/Alevi[1] et dans l’emploi du dialecte Dimilki qu’on appelle aussi le Kirmanki ou le Zazaki. C’est ce qui les distingue principalement des Turcs et des Kurdes qui sont musulmans. On peut également mentionner leur grande proximité avec les Arméniens ainsi que l’aide qu’ils leurs ont témoignée durant les massacres. 

mercredi 23 novembre 2011

Dersim: l'offense redoublée d'Erdogan

Il est excuses plus insultantes encore que l'offense qu'elles sont censées racheter. En matière d'obscénité politique, force est de reconnaître que le Grand Turc vient de repousser les limites: Selon plusieurs dépêches de presse de son pays, Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre a récemment déclaré : "S'il y a des excuses à présenter au nom de l'Etat (...) je voudrais présenter mes excuses et je présente mes excuses" à propos des massacres de masse commis en 1938  par l'armée de la République kémaliste naissante dans la région reculée du Dersim.

Willy Brandt - Varsovie, 1970.
Nul doute que les zélateurs d'Ankara sauteront des deux pieds sur l'opportunité et sur la méconnaissance de la réalité turque par les Occidentaux pour présenter ces "excuses" comme un indice révélateur des "progrès de la Turquie" et autres billevesées. Parmi les extrapolations aventureuses qu'ils en tireront, se trouvera sûrement la prophétie que ces "excuses" pourraient constituer un prélude à une prochaine  demande de pardon à propos du génocide des Arméniens. Bref, on entendra sous peu formulée la comparaison pour le moins osée entre l'actuel homme fort d'Ankara et l'ex-chancellier allemand Willy Brandt qui s'était agenouillé avec sincérité, courage et dignité devant le mémorial du Ghetto de Varsovie en 1970 et qui avait effectivement engagé son pays dans une démarche de contrition et de réparation .

jeudi 10 novembre 2011

De bien-pensantes imprécations

Marine Le Pen
Je peux bien l'avouer, j'ai un vice : il m'arrive fréquemment d'écouter les "Matins de France-Culture". Le débat d'idée y est généralement à fleurets mouchetés, entre gens de bonne compagnie - de gauche ou de droite (mais de gauche, c'est quand même préférable pour la direction des Matins !) - et toujours bien-pensants. Les propos y sont mesurés, les idées calibrées et les amabilités aimables.

Hier par exemple, comme avant-hier d'ailleurs, j'ai succombé à  cette coupable tentation de m'illusionner à participer par procuration aux débats des grands de ce monde à travers l'écoute attentive cette émission. En fait, j'allais changer de station lorsque Marc Voinchet, l'actuel animateur des Matins, a annoncé l'invitée du jour Marine Le Pen. Quelque peu surpris par l'affiche d'une hôte aussi peu en phase avec l'esprit de l'émission, je me suis pris au jeu de savoir comment le leader frontiste serait "gérée" par l'équipe des Matins et, accessoirement, ce qu'elle avait à dire.

jeudi 3 novembre 2011

Ragip Zarakolu: la bonne conscience de la Turquie criminelle

Ragip Zarakolu arrêté: une iniquité et une obscénité 
Il y a quelques jours, mon ami Ragip Zarakolu a été arrêté par la police de son pays, la Turquie. L'arrestation de Ragip, avec celle de Busra Ersanli, apparaît comme le point d'orgue d'une véritable rafle qui a mis aux arrêts tout ce que la Turquie compte de militants de la cause Kurdes, d'activistes des Droits de l'Homme, de syndicalistes, d'éditeurs indépendants et d'observateurs critiques du pouvoir en place. Bien évidemment, les intellectuels de connivence - que j'ai dénoncés autrefois - ne furent pas inquiétés par cette opération.

Si j'en ai le loisir, je reviendrai peut-être sur les raisons qui conduisent maintenant l'Etat turc à procéder à ces arrestations éminemment politiques; de toute façon, elles sont déjà connues de ceux qui s'intéressent à ce pays: En une phrase, il s'agit simplement d'une agression visant d'une part à laminer toute possibilité de protestation interne concernant la sale guerre que mène Ankara contre ses propres citoyens kurdes, et d'autre part à neutraliser l'avènement d'une représentation démocratique des Kurdes au sein du Parlement turc. Ce n'est certainement pas un hasard si la rafle du 5 octobre rappelle tellement un certain 24 avril, ni si elle survient précisément après la reprise de l'offensive turque au Kurdistan et après l'annonce du retour du BDP au Parlement.

Mais je voudrais ici évoquer Ragip, l'homme, et le peu que je sais de son engagement. En Turquie et hors de Turquie, Ragip est un symbole. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si son arrestation a déclenché un tollé international là où les arrestations précédentes n'avaient provoqué que des réactions d'organisations spécialisées (à ce sujet, j'invite tout un chacun à signer les pétitions qui dénoncent son arrestation).

jeudi 20 octobre 2011

Steve Jobs, François Hollande et les Arméniens

C'est un fait méconnu, les Arméniens sont des grands romantiques. Ils se nourrissent d'illusions qui ne coûtent pas cher et qui peuvent éventuellement rapporter gros à ceux qui les dispensent. L'actualité vient nous fournir deux exemples récents de cette tendance déraisonnable à l'idéalisme.

Nous prendrait-on pour des pommes ?
Premier exemple donc, la disparition de Steve Jobs. Nous ne reviendrons pas ici sur les mérites considérables de celui que la presse et l'opinion publique unanimes ont présenté comme l'auteur des inventions les plus révolutionnaires depuis celles de la roue et du feu - plus même que le fil à couper le beurre ou la poudre à péter deux fois. Ceux qui - dans le concert de louanges - prêtèrent attention à l'hagiographie jobienne en cours d'élaboration, purent entendre ou lire que le père de Steve Jobs était syrien et que sa mère adoptive était arménienne. Mieux encore, Steve Jobs - paraît-il - parlait couramment la langue de Raffi et de Tcharents. Il n'en fallait pas plus aux diverses composantes de la presse arménienne - d'Arménie comme de Diaspora -  pour tirer une étrange gloire collective de cette particularité identitaire. A la décharge des Arméniens, précisons tout de suite qu'une vague inquiétude symétrique transpira également dans la presse turque

jeudi 6 octobre 2011

Sarkozy en Arménie invite la Turquie à mettre fin à son négationnisme d'Etat

Quand le Président français se souvient brusquement des Français d'origine arménienne à l'approche des élections. Il y a moins de six mois, le Sénat avait voté l'irrecevabilité du projet de loi de pénalisation du négationnisme adopté en première lecture par l'Assemblée. 


Le président français dépose une gerbe au mémorial
du génocide avec son homologue arménien Serge Sarkissian
EREVAN (Reuters) - Nicolas Sarkozy, en visite d'Etat en Arménie, a invité jeudi la Turquie à "revisiter son histoire" et à reconnaître le génocide arménien de 1915, brandissant implicitement la menace de faire voter en France une loi contre le négationnisme turc.

Le président français venait de visiter le mémorial et le musée du génocide arménien à Erevan, en compagnie de son homologue arménien Serge Sarkissian.



vendredi 30 septembre 2011

Armenia, Israel and wild Turkey - Part 2


Erratic Turkey partly reflects its internal struggle 

Actually, if the goal pursued by Turkey might have been rather clear when the AKP first took over the power, the discrepancies within the Turkish government gradually made it quite puzzling. Since Ahmet Davutoglu started shaping his country’s foreign policy, he has claimed to implement a neo-Ottoman vision. Basically, this renewed imperialism considers that any area that was once encompassed by the Ottoman Empire must “enjoy” a privileged relationship with Turkey[1]. Therefore, Turkey tried to appease the problems it has with most of its neighbors – the tentative improvement of its relation with Armenia having been a kind of failed litmus test – and even to intervene as an “honest broker” aiming at solving regional disputes through its supposed Ottoman-old regional knowledge. Turkey actually and successively – if not successfully – imagined mediating Israel and the Palestinian authority, Israel and Syria, Armenia and Azerbaijan or even Lybia and the West.

Armenia, Israel and wild Turkey - Part 1

The dramatic deterioration of the Turkish-Israeli alliance after the publication of the UN report on the flotilla incident displays some quite interesting features both from an Armenian standpoint and from a more comprehensive one. We are not dealing here with Turkey’s usual blackmail policy toward anyone who dares to thwart its will but with the difference between Armenia and Israel regarding these blackmails and with the present prospect of Turkey’s foreign policy.

The Mavi Marmara episode :  the end
 of a"strategic partnership"
Yet, from a geopolitical point of view, Israel and Armenia seem to share some common characteristics: they are small countries with few natural resources and with reduced populations located in a globally hostile and complex environment. Accordingly, they are forced to stand by global players if not superpowers. In this comprehensive framework, Armenia had to put aside the genocide issue, to downplay its reluctance toward Turkey and was pushed by a conjunction of interests to embark upon a gesture of goodwill which led to the so-called “football diplomacy” and eventually to the protocol agreement signed in October 2009 under the patronage of usual worldwide overlords.

jeudi 22 septembre 2011

Contenir le Rimland

Cet article a été publié par France-Arménie en juin 2010. A la lumière des derniers évènements, il prend un relief particulier en raison duquel j'ai jugé bon de le reproduire.

L'arc de crise du Rimland selon Spyke
L’épisode de la flottille de Gaza aura eu le triste mérite de jeter une lumière crue sur la réalité des pratiques de deux pays habituellement présentés comme des parangons de vertu dans les médias occidentaux : Israël et la Turquie.

Le cas israélien est sans doute le plus pathétiquement fascinant. Il faut avoir une dose peu commune d’assurance ou de désinvolture pour ordonner une opération militaire dont il était prévisible qu’elle déclencherait la réprobation internationale, y compris jusque dans les rangs des soutiens habituels de l’Etat hébreu. Au-delà de ce manque criant de sens politique, la balourdise de la sanglante opération des commandos israéliens révèle – et c’est plus grave – l’absence totale de sentiment humanitaire pour ne pas dire humain qui grève les hiérarchies politiques et militaires d’Israël ; car derrière l’arbre des quelques morts de la flottille, se cache la forêt des exactions commises par cet Etat, au premier rang desquels le sort injustifiable qu’il réserve à la population gazaouite.

mercredi 14 septembre 2011

Considérations béotiennes sur la crise grecque


La crise qui affecte actuellement la Grèce et l'Union européenne n'en finit pas d'être provisoirement résolue. Tous les quatre matins, on nous annonce un nouveau plan de sauvetage des Hellènes, généralement un savant cocktail d'accords pour la prise en charge partielle par l'Union de la dette grecque et de plans de rigueur pour le gouvernement d'Athènes.Et derechef, dans les jours qui suivent, il apparaît que le plan de recapitalisation est manifestement sous-dimensionné au regard de l'homérique banqueroute  qui semble chaque semaine un peu plus importante que ce que l'on croyait initialement. Puis, revient la sempiternelle litanie sur la défiance des marchés, sur les attaques renouvelés des spéculateurs et sur la nécessité d'un engagement encore plus grand de l'Union et des Etats-membres.

jeudi 8 septembre 2011

L'Eglise arménienne répond à la décision turque de restitution des biens spoliés

Aram I,Catholicos arménien de Cilicie, a envoyé une lettre au Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan suite à la décision du gouvernement d'Ankara de restituer une partie des biens des minorités religieuses spoliées après 1936. Voici la traduction française de ce courrier.

Monsieur le Premier Ministre, 

Par voie de presse, nous avons été informés de la décision de votre gouvernement de restituer les propriétés confisquées après 1936 aux minorités religieuses de Turquie. Cette décision constitue sans aucun doute une mesure visant se prémunir contre les récentes évolutions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ainsi que contre les enquêtes et les procédures du Congrès américain sur l’oppression par la Turquie de ses minorités non musulmanes. 

En tant que représentant spirituel et légal du Catholicossat arménien de Cilicie, qui fut déraciné de son siège séculaire, et en tant que représentant des enfants de l’Eglise arménienne similairement déracinés, qui furent exilés de Turquie et dispersés à travers le monde, nous considérons la décision prise par votre gouvernement le 27 août 2011 comme incomplète et injuste. 

mardi 6 septembre 2011

L'épuisement moderne et ses conséquences politiques

La modernité européenne s’est construite au détriment d’un Occident plus ou moins mythique. Cette nouvelle identité moderne a procédé de la question nationale et de la question sociale. La capacité perdue des élites modernes à aborder la question nationale conjuguée à leur refus de réhabiliter l’Occident traditionnel et à la débâcle des idéologies progressistes laissent les citoyens européens dans un dangereux désarroi nihiliste.

Et si l'Europe avait été un péché d'orgueil ?
La crise économique et politique qui frappe actuellement l’Union européenne a réactualisé ces derniers temps le thème récurrent de la crise des valeurs européennes[1], voire même, au moins depuis la dégradation de la note de la dette souveraine des Etats-Unis, celui de la crise de l’Occident[2]. Certes, cette conception du déclin de l’Occident n’est ni nouvelle, ni même homogène : les critiques faites en leurs temps par des penseurs aussi divers que Tocqueville, Nietzche, Spengler, Guénon, Valéry, Zweig, Poe, Husserl ou Arendt[3], voire Evola, De Benoist ou Faye[4], montrent à l’évidence que l’analyse de ce supposé déclin, de ses causes et de ses modalités ne font pas l’unanimité, même parmi ceux qui s’accordent à reconnaître son existence.

C’est qu’en vérité, les termes même d’Occident ou de modernité sont très loin de recouvrir des notions unanimement partagées. Où pour le dire autrement, la réponse à la question de savoir ce qu’est l’Occident et, même, ce qu’est la modernité semble de moins en moins claire au fur et à mesure que le mode de vie « occidental » (c’est-à-dire « moderne ») colonise les anciens « orients », ainsi d’ailleurs que ses modalités d’analyse critique[5].

lundi 4 juillet 2011

Lettre ouverte aux amateurs de fables orientales

Au-delà de l’entreprise de réhabilitation d’idéologies criminelles, le négationnisme, par la posture philosophique dont il se pare, constitue une tentative de destruction de ce que la pensée occidentale a apporté de plus novateur : la distinction entre réalité sensible et vérité intelligible. Il constitue donc à proprement parler une entreprise de désoccidentalisation du monde.

Une discussion courtoise mais franche m’a récemment mis aux prises avec le sympathique rédacteur en chef du Taurillon. Ce webzine fédéraliste a eu l’idée contestable de consacrer à la Turquie la semaine de commémoration du Génocide des Arméniens avec, bien entendu, des articles favorables à l’adhésion de ce pays à l’Union européenne. Très loyalement d’ailleurs, il m’a été proposé de rédiger un article en sens contraire, ce que j’ai fait. Cet article a également été publié par le Taurillon, quoique tardivement, mais il n’aborde pas un point pourtant crucial sur lequel j’entends ici revenir.

La cause de mon navrement, et de la présente réflexion, réside dans les idées développées par un article de M. Joseph Richard intitulé « Génocide arménien : histoire et politique ne font pas bon ménage ». Les lecteurs intéressés pourront s’y reporter mais, pour la résumer en quelques mots, l’argumentation de l’auteur consiste à affirmer que la « liberté d’opinion » doit être totale – en Europe comme en Turquie – et que l’Union européenne ne devrait se battre que pour permettre aux citoyens turcs d’avoir l’opinion qu’ils souhaitent sur cette question sans encourir les poursuites judiciaires de l’article 301 actuellement en vigueur dans ce pays ; et de mettre implicitement en parallèle, cette disposition du code pénal turc et les projets de pénalisation du négationnisme en France.

vendredi 17 juin 2011

Cette douleur n'est pas la nôtre

Je me permets de reproduire ici la traduction effectuée et publiée par le Collectif Van de l'excellent article de Serhat Uyurkulak. Cet article initialement paru en turc sur le site Birdibir a été traduit en anglais par Azad Alik puis en français donc.

Avec un courage intellectuel rare, Serhat Uyurkulak pourfends ici non seulement le négationnisme d'Etat de son pays mais également la rhétorique captieuse de certains intellectuels turcs visant d'une part à réduire le génocide arménien à une affaire sentimentale de douleur, d'autre part à faire de cette douleur une douleur commune et finalement à lui attribuer une source indéterminée.

Cette douleur n’est pas la nôtre

Collectif Van - Azad Alik - Birdirbir

Il y a besoin de justice, pas de compassion

De Serhat Uyurkulak


J’estime avoir de la chance de ne pas avoir vu beaucoup de décès de près. Mais, lors de la plupart des visites de condoléances, j'ai assisté à la même scène. Alors que la souffrance montait en flèche pour atteindre un degré presque palpable, quelqu'un fondait soudain en larmes et gémissait, disant qu'il voulait sortir le défunt de sa tombe et allant jusqu’à indiquer sa volonté de prendre sa place. Sous le regard étonné des membres de la famille, les gens s’interrogeaient discrètement les uns les autres pour savoir qui cette personne pouvait bien être. Et, souvent, il s'avérait que 'le voleur de chagrin' était quelqu'un que sa conscience tourmentait car il se sentait redevable au défunt de quelque chose, d'une façon ou d'une autre. La chose la plus étrange, c’est que la famille en oubliait presque sa propre peine pour que le ‘voleur de chagrin’ se sente mieux. Le vrai supplice commençait quand il lui incombait, à elle, de consoler cette personne qui avait quelque chose sur la conscience.

Je souhaite vraiment être quelqu’un ayant une conscience et une vie sans tache et j'essaie de faire de mon mieux pour vivre selon ce principe. « Avoir la conscience tranquille » est une expression utilisée dans la déclaration de l’initiative « Cette souffrance est la Nôtre », publiée de plus en plus souvent dans les réseaux sociaux et autres médias au fur et à mesure qu’approchait le 24 avril [1]. La déclaration affirmait que ce qui avait été fait aux Arméniens, qui étaient des sujets ottomans en 1915, devait être qualifié de crime contre l'humanité. De plus, les auteurs appelaient chacun d'entre nous, qui étions « unis sur la base des valeurs fondamentales de l'humanité », à déclarer que 1915 était « la douleur commune » de chaque personne vivant en Turquie.

mercredi 15 juin 2011

Quelles pistes contre l’effacement de l’Europe ?

La doctrine économiste de l’Union européenne ne lui assure plus aujourd’hui le leadership moral et politique qu’elle prétendait atteindre et elle est de ce fait largement contestée par les nations de l’Union. Pour assurer sa relance, l’Europe doit se doter d’un nouveau paradigme de développement qui devra faire une place raisonnée au patriotisme européen et qui devra reconsidérer ses alliances stratégiques.

Les derniers évènements de l’actualité internationale ont à nouveau cruellement illustré les insuffisances européennes.

Sur le plan extérieur, confrontée aux révolutions arabes, qui n’avaient semble-t-il aucunement été anticipées par les diplomaties de ses Etats-membres, l’Union européenne donne l’affligeant spectacle de sa désunion et de sa pusillanimité, quand ce n’est pas de son absence : D’un côté, l’Europe du Sud - et singulièrement l’Italie - légitimement préoccupée par des considérations migratoires, se montre fort préoccupée de l’impact démographique des désordres qui frappent les pays de l’autre rivage de la Méditerranée. De l’autre côté, l’Europe du Nord, tout aussi légitimement soucieuse de rigueur budgétaire, n’entend pas dépenser un euro de plus pour assurer le traitement humanitaire et politique de ces crises. Entre les deux, l’Union pour la Méditerranée, qui aurait précisément pu concilier ces différents aspects dans le cadre d’une politique européenne dédiée, brille par une absence qui démontre tout à la fois sa nature chimérique et le peu de considération de nos partenaires européens pour cette structure voulue par la seule France. Au-dessus, et pour couronner le tout, Mme Ashton, notre haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité‎, fait preuve d’une furtivité à faire pâlir d’envie nos meilleurs avions de chasse.

lundi 30 mai 2011

Génocide arménien : l’abdication de l’UE

L'enlèvement d'Europe
par François Boucher
Cet article a été publié par le webzine des jeunes fédéralistes européen, le Taurillon. Je le reproduis ici en rétablissant les liens hypertextes corrects.

Le refus de l’Union européenne d’opposer la reconnaissance du Génocide des Arméniens à la candidature turque est le plus choquant des stigmates de l’abdication de ses valeurs par l’Europe. La licence morale dont découle ce choix – pendant éthique du libéralisme socioéconomique – est directement responsable de la résurgence des mouvements identitaires européens que l’Union prétend combattre. 

Le 18 juin 1987 le Parlement européen avait voté une résolution « pour une solution politique à la question arménienne » dans laquelle il estimait que « le refus de l'actuel gouvernement turc de reconnaître le génocide commis autrefois contre le peuple arménien par le gouvernement «jeunes Turcs», sa réticence à appliquer les normes du droit international dans ses différends avec la Grèce, le maintien des troupes turques d'occupation à Chypre ainsi que la négation du fait kurde, constituent, avec l'absence d'une véritable démocratie parlementaire et le non-respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses, dans ce pays, des obstacles incontournables à l'examen d'une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté ». Près de 25 ans plus tard, le Parlement européen pourrait renouveler son constat sans en changer une virgule. Mais il ne le fera pas. Non pas que la Turquie ait progressé sur ces différentes questions, mais parce que l’Europe a régressé dans la défense et la promotion de ses valeurs fondatrices. 

La question du Génocide des Arméniens et de sa reconnaissance est un marqueur particulièrement fiable de cette régression. Initialement posée comme un « obstacle incontournable à l’examen d’une éventuelle adhésion », cette question a été ramenée sous l’influence du lobby turc et de ses affidés au statut d’une question à évoquer en cours de négociations puis à ne plus évoquer du tout.

samedi 23 avril 2011

Du Grand Arte

Avec la diffusion d'Aghet, Arte nous gratifie d'un grand documentaire sur le Génocide des Arméniens. A mon avis, l'un  des meilleurs du genre avec le documentaire de Laurence Jourdan produit par la Compagnie des Phares et Balises.

mercredi 16 mars 2011

Fukushima: une catastrophe médiatique ?

Les dramatiques évènements qui se déroulent actuellement aux Japon font l'objet d'un traitement médiatique aussi massif que particulier, et qui mérite commentaire.

Nul ne niera que les dysfonctionnements qui affectent la centrale nucléaire de Fukushima sont maintenant particulièrement graves. Si la situation a pu un temps donné l'impression d'être sous contrôle, il est désormais clair que ce n'est plus le cas et que nous avons effectivement affaire à un accident plus que sérieux.

Cependant, indépendamment de cette gravité avérée, il est aussi clair que, pour les médias, cela devait nécessairement être grave simplement parce qu'il s'agit du nucléaire. En effet, par une curieuse suspension de la raison, une partie dominante de la classe médiatique assimile automatiquement tout ce qui touche au nucléaire à Tchernobyl, quand ce n'est pas Hiroshima. Un peu comme si tout lieu d'internement était forcément Auschwitz, toute usine chimique, Bhopal, tout accident de voitures, Los Alfaques ! A ce sujet, je me rappelle d'une ancienne dépêche de presse qui relatait sur un ton catastrophiste un "incident dans une centrale nucléaire" et où finalement, il était question d'un opérateur tombé d'un escabeau en changeant une ampoule.

dimanche 30 janvier 2011

Wikileaks: les fuites américaines mouillent la Turquie

Article publié dans France-Arménie en janvier 2011


Le site Internet spécialisé dans la diffusion de notes diplomatiques confidentielles a commencé de rendre publics de nombreux memoranda sur la Turquie et sur la vision qu’en ont les ambassadeurs américains : un portrait sans fard bien loin du ton politiquement correct des discours officiels.

Wikileaks ! Depuis quelques semaines, le microcosme de la diplomatie internationale ne bruisse plus que du nom de ce site Internet, encore largement confidentiel voici quelques mois. C’est qu’après les informations déjà gênantes révélées sur l’aventure américaine en Irak, après la divulgation d’une vidéo montrant le meurtre de civils irakiens par un hélicoptère de combat U.S., les “fuites” du Web ont commencé de révéler le contenu de milliers de “câbles”[1] trahissant la vision du monde qu’entretient la diplomatie américaine. Comme le précise le “cablegate”[2], Wikileaks a choisi de ne divulguer que progressivement l’énorme manne des 251.287 documents dont il dit disposer. Cette entreprise de subversion n’a donc pas fini de faire parler d’elle, d’autant plus que si certains “câbles” sont hors d’âges - 1966 pour le plus ancien - la plupart datent de la période 2006-2009.

Bien évidemment, Turquie, Arménie et Azerbaïdjan ne sont pas épargnés par ce florilège de documents souvent classifiés au niveau “confidentiel”, parfois au niveau “secret”. Cependant, si les informations révélées s’avèrent finalement le plus souvent banales, ce sont les commentaires qui les accompagnent qui mettent à mal la diplomatie publique américaine. La Maison Blanche, sans doute très gênée de voir mises à nues ses appréciations sur des gouvernements amis comme ennemis a ainsi qualifié de “criminels” WikiLeaks et ceux qui disséminent ces informations (voir encadré).